Bienvenue sur le site de Jean BRUYAT
Contes, Nouvelles et Romans...

 

Histoires d'hier et d'aujourd'hui…
Jean Bruyat, sous sa plume sensible nous emmène dans le sillage des mots,
à l'écoute du temps, là où la mémoire funambule, là où nous retrouvons nos racines ou notre enfance.
Il était une fois …

 


Retour à l'index


 

 

Automne 42 - JEAN BRUYAT





Extraits

         *..."Saint Martin d’Hères, foyer Karl Marx, dernière semaine de ce mois d’août 2024. Les jeux olympiques de Paris sont terminés depuis le 11, mais ils vivent encore dans tous les esprits.

          Dans la salle de restauration, une agitation peu commune règne depuis ce matin. Guirlandes multicolores, ballons de baudruche jaunes et rouges, affichettes où dans l'air ambiant, dansent les mots « Heureux anniversaire au doyen des résidents ». Toutes ces preuves d’amitié se disputent à qui mieux mieux le peu d’espace encore disponible.

           Un homme est là, bien calé dans son fauteuil. Tout le monde ici l’appelle Pablo. Pablo tout court. Comme si on avait oublié son nom. L’œil est vif. Le regard, toujours leste joue à saute-mouton sur les invités. Il s’offre un détail puis saute sur un autre. De droite à gauche, il balaie cet environnement bruyant et coloré qui ne semble pas en totale harmonie avec son attitude plutôt effacée, débordant d’humilité et de simplicité"...


 

*..."Il n’est pas rare de voir au-dessus de certaines fenêtres ou portes cochères, flottant fièrement au vent, des oriflammes rouges ou des bannières noires. Tissus porteurs d’espoirs. Défis. Provocations jugées inutiles par certains. Utopies affirmées par d’autres. Chantiers en marche pour tous ceux qui espéraient vivre dans un monde meilleur, plus humain…Tous y croyaient.

En réalité, les ouvriers qui habitent là, loin d’être les voyous si décriés par la bien-pensance,  ont su très tôt créer des communautés. Les pratiques de partage et l’instauration de véritables liens sociaux entre les travailleurs vont être à l’origine de la création d’un mouvement syndical populaire dans lequel de nombreux anarchistes prennent toute leur part. Utopie, liberté politique, autogestion, fédéralisme, démocratie, militantisme, solidarité, étaient leurs mots de tous les jours. Leurs oriflammes. Leurs mots fleurs. Leur crédo.

Pedro est de ceux-là. Il anime, avec d’autres camarades, après sa journée de travail à la « Compagnie des Tramways de Barcelone », un comité de quartier chargé de gérer une cantine populaire. L’homme avait été profondément marqué par l’histoire de la Commune de Paris en 1871. Il  rêvait qu’un jour, à l’instar d’Eugène Varlin, il créerait sa « propre » cantine. Il l’a fait. C’était un peu « sa Marmite » à lui. Semblable à celle qui nourrissait à peu de frais les communards à Paris.

Les murs du modeste appartement qu’il occupe désormais avec Pablo résonnent souvent, pour la plus grande joie du jeune garçon qui n’en perd pas une miette, des noms de Pierre Joseph Proudhon, d’Auguste Blanqui,  d’Eugène Varlin ou de Mikhaïli Bakounine"...  

   

*..."Au milieu de la nuit du 18 juillet, le rêve, brutalement, va s’achever. La dure réalité éclate, mettant un terme aux espoirs les plus fous. Tout à coup, le calme habituel vole en éclats. Il se déchire et part en lambeaux, troué, lacéré par des échanges de tirs.  Pablo se réveille. Il se lève précipitamment. Son père est déjà là, debout dans la cuisine. Il éructe en hâte quelques mots. 

 « Ça y est ! Les militaires tentent de prendre le pouvoir ! Ils ont osé ! Ça va chauffer fils ! On va pas se laisser faire ! Ils veulent la peau de notre République. Franco en tête ! Surtout, Pablito, tu ne bouges pas d’ici ! Tu sors sous aucun prétexte ! Entendu ?». 

 L’homme se précipite dehors, aussitôt, fusil au poing. Elle sera longue cette journée. Pénible sera l’attente. Le lendemain, au petit matin, Pedro revient à la maison, fatigué mais plus résolu que jamais à défendre la jeune et fragile République.  

── Ils n’y arriveront pas fiston ! Je te le jure. 

En effet, depuis l’enclave de Melilla au Maroc, le général Franco, les monarchistes, les phalangistes, des officiers de l’armée appartenant à la droite et  à l’extrême droite comptaient sur ce coup d’état pour éloigner le pays – disaient–ils – du danger communiste. C’est drôle comme de simples mots peuvent faire peur"...

 

*..."── On va tout repeindre aux couleurs de la CNT…Rouge et noir ! J’ai les clefs du local et je passe à l’appartement récupérer la peinture. Vous m’attendrez bien deux minutes…

         Quelques instants plus tard, les pinceaux sont à l’ouvrage. Ils sont légers ces pinceaux ! Poussés par des mains audacieuses, ils effleurent la carrosserie de peur de l’effaroucher, de la blesser. Ils dansent d’une lettre à l’autre. Du « C » à la forme arrondie et lisse, au « N » où ils hésitent un peu avant d’oser se lancer à l’aventure des zigzags. Enfin, ils montent à l’assaut du « T », toujours fier et droit. Digne, tel un héron en équilibre sur son unique pied.

L’avant du tram et ses flancs se voient ornés d’un rectangle à deux couleurs sur lesquelles se détachent en majuscules les trois lettres de la Confédération.  Pedro prend un peu de recul afin d’admirer l’ouvrage.

── Pas mal ! Au moins, comme ça, quand nous aurons peint ces armoiries sur l’ensemble des motrices, les habitants de Barcelone qui nous soutiennent sauront que la révolution a aussi des couleurs. « Tierra y Libertad » ! Les amis ! Et puis, à ceux qui nous aiment pas, tous ces fascistes, tous ces  mecs d’extrême droite, tous ces ennemis de la démocratie, on va leur cracher à la gueule : « No Pasaran » !  On ne cèdera jamais ! Jamais !"...

    

*...Soudain, une forme humaine portant chapeau plus très noir, recouverte des pieds à la tête par  une épaisse couche de poussière grisâtre, apparait, assise sur un tas de gravats devant ce qui avait dû ressembler à un porche. L’homme, nullement perturbé par l’arrivée des deux Républicains,  s’interrompt et se lève en rangeant son instrument dans la poche de son pardessus.  

D’un revers de la main il tente vainement d’épousseter son paletot. Puis, il saisit son chapeau et  d’un souffle puissant, à effrayer les morts ensevelis sous les ruines, il tente de rendre plus présentable le ruban rouge, cette auréole d’espoir qui fait le tour du feutre.  

── Holà ! Moi ! Camarada ! Suis pas très présentable, scusez-moi ! Français ! Bataillon Commune de Paris ! Je suis venu de Paris pour les Jeux de Barcelone. Et pis, j’suis resté parce que j’ai pensé que je pouvais combattre le fascisme autrement, les armes à la main. C’était bien de participer dans ma discipline, le saut en longueur, mais c’était aussi bien de prendre un fusil et vous aider. Alors, j’suis resté !

Pedro, décontenancé, regarde cet homme qui a refusé de rentrer chez lui, en France, pour défendre la fragile République espagnole. Pas commun ce type !"...

             


TOUTE REPRODUCTION, MEME PARTIELLE, INTERDITE SANS L'ACCORD ECRIT DE L'AUTEUR.
  

 


Retour à l'index