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Contes, Nouvelles et Romans...

 

Histoires d'hier et d'aujourd'hui…
Jean Bruyat, sous sa plume sensible nous emmène dans le sillage des mots,
à l'écoute du temps, là où la mémoire funambule, là où nous retrouvons nos racines ou notre enfance.
Il était une fois …

 


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LA PASSANTE - JEAN BRUYAT

                   218 pages au format 15x21, dos carré collé, couverture quadri pelliculée,

Editions GAP. dépôt légal 2è trimestre 2015 ; ISBN : 978-2-7417-0552-9 ; N° d'impression : 279673
Préface :  Michel Etiévent

     

Extraits

  

…« Paris. XIVe arrondissement, entre loup et chien.   Nuit d’hiver. Interminable, comme toutes celles qui l’avaient précédée. Personne ne pouvait deviner qui du loup ou du chien allait prendre la suprématie sur l’autre. Personne ne pouvait imaginer qui, de l’obscurité finissante ou du jour renaissant, allait réussir à s’imposer. La lutte était rude. Le froid aussi.
        Pourtant, un homme arpentait déjà les rues désertes. Un homme comme on en rencontre parfois. Entre deux âges. Rude d’apparence mais dont on perçoit, sous la carapace toujours friable, une infinie tendresse. Un solitaire. Un naufragé de la nuit en quête de havre. Il se confondait presque avec la grisaille des  murs qu’il frôlait au passage tant il donnait l’impression de vouloir se fondre avec eux. Il espérait ainsi leur ravir le peu de chaleur que malgré tout, ils étaient censés dégager.  Il les suivait de si près que son ombre, de loin, ne se remarquait plus. Elle glissait furtivement d’une façade à l’autre, entre passé et présent. Immatérielle. Fugitive. Elle n’existait plus. Elle était devenue sa chair. Elle était l’homme. Elle n’était que l’ombre d’elle-même… ».


…« Sur la petite place au bout de la rue Delambre, le quartier s’était rassemblé. Il retenait son souffle. Nez en l’air, pieds dans la neige, regards scrutant les nues, chacun attendait. Respiration interrompue, suspendue aux caprices de Guillaume.
        L’inquiétude se lisait sur les visages aux traits déjà durcis par plus de trois mois de siège. Chacun tentait de deviner, d’anticiper le point de chute des prochains obus en espérant secrètement qu’ils tomberaient un peu plus loin. Sur d’autres…Ne pas savoir, ne pas connaître, rend la désolation et la détresse plus supportables. Cela rassure même lorsqu’on se sent impuissant. On a l’impression d’être moins vulnérable… ».

 
…« Soudain, émergeant derrière une masse imposante de gravats, une main, dans la nuit, se dressa. Horrible et sublime apparition. Une main si fine, si blanche qu’il eût voulu la prendre dans la sienne pour la protéger, la réchauffer. Une main de femme… Séraphin Franjus demeura un instant interdit. Effaré. Aurait-il peur ? Rochelais la Fraternité en avait affronté d’autres ! « Vas-y bonhomme ! De Dieu ! Pauvre femme !». Cependant, il était incapable de bouger tant cette vision d’horreur dans ce champ de désolation le pétrifiait. Que faire ? Il n’arrivait pas à surmonter son appréhension. De façon inattendue, la main frémit légèrement, comme un appel, puis les doigts commencèrent à se crisper. « Vite ! De Dieu ! Vite ! ». Le charpentier sortit de sa torpeur. Il se baissa rapidement. Il entreprit aussitôt de dégager le bras qui retomba mollement…».


… « La petite dame qui gesticule à côté de Varlin, c’est Nathalie Le Mel. Une Bretonne. Elle travaille aussi dans la reliure et puis elle gère la Marmite. C’est une syndicaliste, une révolutionnaire convaincue. T’imaginerais pas que ce petit bout de bonne femme, a obtenu l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes dans la reliure, il y a déjà plusieurs années ! Tu te rends compte ! Alors que dans les autres professions les femmes gagnent en moyenne moitié moins que les hommes pour faire le même boulot ! Egalité citoyen ! Egalité toujours et encore l’ami ! Allez, viens, j’vais te présenter… ».
 

« Mouvements de troupes dans la nuit. La lune, seul témoin de cette opération, soutenait modestement l’initiative. Des ombres furtives rasaient sans bruit les murs de la capitale. Qui pouvait les reconnaître au passage ? Elles se fondaient dans la grisaille. Elles fuyaient vers demain. Elles glissaient, gigantesques, chargées d’un immense espoir. Un rêve fabuleux avait pris corps. Percer une brèche dans cette défense allemande qui les étouffait depuis trop longtemps. À l’esprit de chaque garde national, jeune ou moins jeune, la même volonté, le même courage. Vaincre ! « Foutre en l’air les Alboches ! » comme disait Franjus… ».


…« Tu sais, dans le club qu’on est en train de constituer, il y en a quelques-unes de cette trempe…Anna Jaclard, par exemple ! Une Russe. Une aristocrate s’il te plaît ! (Elle ne rajouta pas « comme moi », laissant à son interlocuteur le soin de le penser). Un  tempérament aussi Anna ! Une idée fixe chez nous toutes : nous élever au-dessus des hommes,  exiger notre place au soleil, avoir droit de citer, sans parler de l’égalité, déjà au niveau des salaires. T’imagines, dans les campagnes, un homme gagne un franc par journée alors qu’une femme ne gagne que quarante centimes… à la ville c’est la même chose avec la quantité de linge confectionné dans les couvents…En conclusion, je vaux moitié moins que toi ! Eh oui, la Fraternité ! On se bat pour être considérées autrement que comme des ménagères ou des courtisanes… ».



…« Devant le bâtiment abritant la cantine municipale, au centre de la petite place, au bout de la Rue Delambre,  le 22 février 1871…
  « Demandez l’ « Cri du Peuple » ! Premier numéro ! L’ Cri du Peuple ! Cinq colonnes pour un sou seulement ! L’ cri du peuple ! Demandez !... »

Un petit crieur de journaux s’époumonait au milieu du carrefour. Il allait d’une rue à l’autre, avançait, reculait, pivotait sur un pied puis repartait apostrophant les passants : « Demandez ! L’ Cri du Peuple !...Un sou ! Un sou seulement !». Manège bien réglé. Chorégraphie qui ne laissait rien au hasard. Dans la main droite, bras bien tendu, il arborait fièrement le premier numéro de ce journal. Son bras gauche, replié devant lui supportait, bien rangés, tous ses espoirs de  manger un peu aujourd’hui. « Demandez ! L’ Cri du Peuple !...Un sou ! Un sou seulement !»…Cette vingtaine de quatre pages, s’il les vendait, lui permettrait peut-être de passer chez le boucher, pour acheter s’il en croyait la pancarte accrochée au-dessus de l’étal, un peu de « viande canine et féline »…Seul le premier mot comptait pour lui : « viande ». Les autres n’étaient qu’accessoires… ».


…« Les Versaillais progressaient. Inexorablement. Le canon façonnait les rues, Il les labourait. Il démantelait le peu d’organisation des Fédérés. Il ruinait les espoirs de vivre des lendemains plus justes. Plus humains. La conquête du ciel s’éloignait. La répression gangrenait toute envie d’avenir. Sur les pavés la mort semait ses cadavres. Une curieuse moisson se préparait. Dans les caniveaux, au mitan des chaussées un liquide rougeâtre s’insinuait entre les pavés. Le sang des Fédérés et celui des Versaillais lentement se mêlaient. Rouge espoir. Rouge devoir. Rouge souffrance… ».


     

 « J’aimerai toujours le temps des cerises
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte…
Et dame fortune en m’étant offerte
Ne saurait jamais calmer ma douleur
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je  garde au coeur "...

                    


TOUTE REPRODUCTION, MEME PARTIELLE, INTERDITE SANS L'ACCORD ECRIT DE L'AUTEUR.
  

 


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