Le mangeur de mots
"
Personne ne le connaît. Personne ne l'a jamais vu. Et pourtant il existe. Chacun de nous l'a déjà rencontré de nombreuses fois dans sa vie. A différents moments, à différentes étapes de son existence, il est là, aux aguets, attentif à la moindre parole.
Tapis derrière les bouquets de phrases. Prêt à happer le dernier mot prononcé. Le dernier mot, c'est bien connu, est toujours le plus vulnérable. Après lui, plus personne pour donner l'alerte ! Ni vu ni connu, le grignoteur lui saute dessus et hop ! Il l'avale d'un trait. D'ailleurs beaucoup d'adultes donnent l'impression de ne pas terminer leurs phrases. Ils les suspendent. On attend. Et rien. Même pas un " euh ". Rien ! C'est un coup du mangeur de mots. Comme dit mon copain Pierrot : " Il doit être énorme à force de bouffer des mots ! ". C'est vrai qu'il doit être gros !
Et puis, il est certainement très âgé. Il exerce cette activité depuis des siècles et des siècles. Il est obligatoirement vieux, corpulent et rapide car il doit être de partout à la fois. Décidément, j'ai du mal à l'imaginer. Toutes ces qualités supposées sont contradictoires. Comment peut on être à la fois gros, vieux et rapide ? Pierrot que je connais bien est gros mais pas rapide du tout. En tout cas il n'est pas vieux. Le grand père de Pierrot est bien vieux mais pas rapide. Il s'en manque. L'autre jour il voulait attraper Pierrot pour lui flanquer une fessée.
Je crois que c'était parce qu'il avait mangé les confitures d'Amélie. Amélie, c'est sa grand mère. Et bien la fessée a été remise au lendemain car le jour même, la main du grand père n'a jamais pu rattraper le postérieur trop rapide de mon copain Pierrot. Il y a bien Albert, le cyclo. Lui, il va vite
Il gagne toutes les courses au sprint. Mais il n'est pas gros. Ni vieux
Le mieux, c'est peut être d'enquêter sur ce dévoreur. Le suivre, le filer, comme font les flics à la télé. Le pister à tout moment, sans se faire remarquer. C'est sûrement pas facile, mais je vais essayer quand même.
Le tout, c'est de trouver une bonne planque. Surtout ne pas donner l'éveil. Le mangeur de mots est un type très rusé
". Makimbé
"
Il était une fois, à Koloumba, petit village au sud du royaume d'Akosombo en Afrique, un enfant qui répondait au nom de Makimbé Douala. Il chantait souvent une chanson dont les paroles n'étaient comprises que de lui seul. Il vivait la plupart du temps dans les rues.
Ses parents, très pauvres, n'avaient pas assez d'argent pour l'élever comme ils l'auraient souhaité. Aussi, Makimbé n'avait pas de maison ou plutôt, sa maison, c'était celle de Bamakar, un personnage étonnant. Ce dernier avait loué une ancienne épicerie pour y installer son école. Tous les enfants venaient là pour apprendre le peu de connaissances que leur servait leur dévoué maître. Le brave homme, en bon épicier de l'intelligence qu'il était devenu, enseignait du matin au soir l'écriture, le calcul, la grammaire, l'orthographe et la conjugaison.
Tout un programme pour qui savait attendre. En effet, Bamakar n'était jamais pressé. Il avait toujours le temps et quand il ne l'avait pas, il le prenait quand même mais de curieuse façon
Il se levait. Il étirait son long corps et décrochait la pendule que le vieux Joseph, l'ancien épicier, lui avait laissée. Il changeait la position des aiguilles en fonction du temps à piéger. De ses gros yeux globuleux, sortant presque des orbites, il rivait son regard sur le cadran. Il prononçait ensuite des paroles magiques que personne ne comprenait.
Et là, miracle !
Le temps perdant momentanément la partie laissait ralentir la marche des aiguilles. Elles avançaient moins vite. Du moins Bamakar le croyait Evidemment, elles se déplaçaient trop lentement pour qu'il s'en rende compte. Mais l'essentiel n'était il pas qu'il soit persuadé de détenir un pouvoir extraordinaire. En réalité, personne n'était dupe. Seul Makimbé y croyait dur comme fer
" Lili de Pignerol chevrier
"
Je voyais de temps en temps un homme qui disait travailler comme domestique au château. Il s'appelait
.Férréol. Il m'apportait un peu plus que ma maigre soupe quotidienne. Il me disait souvent qu'un jour je serai libre. Que notre petit peuple se libèrerait. Il me parlait d'un Voltaire. D'un certain Rousseau qui disait
Attends, que je me rappelle : " les fruits sont à tous et la terre n'est à personne
" Oui
C'est ça ! Lili écoutait, émerveillé. Il buvait les paroles de sa princesse. Jamais il n'avait entendu pareils récits.
Jamais ces choses ne lui avaient autant parlé à lui, le petit chevrier. Le petit pauvre. " Les fruits sont à tous ". Il le savait depuis longtemps lui. " La terre n'est à personne " le troublait davantage car il possédait son petit coin de terre aux Méneaux. Un petit coin bien à lui
Mais les graines de savoir qui venaient d'être semées allaient l'inciter à apprendre réellement à lire. Il avait envie de faire plus ample connaissance avec les livres et avec ce Voltaire et ce Rousseau
Lili et sa princesse repartirent en direction de Lens.
C'est le baron et la baronne qui furent surpris lorsqu'ils virent arriver leur petit " bougre " en si charmante compagnie. Le temps s'écoula, tranquille comme le vent du couchant entre Garennes et Mantaille. La plante souple et vigoureuse en profita pour ancrer ses racines dans un quotidien porteur d'avenir. Quelques années plus tard, en tant que représentant du peuple, Lili participa aux Etats du Dauphiné à Romans, prémices des Etats Généraux de mai 1789 à Versailles, de l'abolition des privilèges et de la déclaration des droits de l'homme
".
La septième île
"
Là où finit la terre. Là où la lande et l'océan, sous les assauts répétés des vagues, se conjuguent avec le ciel. Là où le vent, de ses caresses effleure et lustre les blocs de granite. Les plus extraordinaires légendes courent encore, portées par le souffle du large. Parmi toutes ces histoires, entre rêves et réalité. A ne plus savoir quelle est la part des uns. A douter de l'influence même de l'autre. Il en est une que j'aime toujours raconter.
Elle est née des confidences que la brise du large, un soir de crépuscule naissant, m'a susurré, entre les lauzes disjointes d'un mur ancestral contre lequel je m'étais adossé. J'ai entendu ce récit
Il était une fois, dans le petit port de Kêr Loch, un vieux marin répondant au nom de Govéan. Lazare Govéan.. Son bateau de pêche, la Louzaouen, nom donné à l'herbe dans le golfe, mouillait, sans prétention aux côtés de navires des plus prestigieux. Ceux qui avaient affronté huit mois durant les humeurs rageuses de l'Antarctique.
D'autres qui, des saisons entières, s'étaient exilés dans les eaux froides d'Islande. Niou, Dahut, Glazik, Penn ar Bed,
D'autres encore, magnifiques, stoïques Cap Horniers. Tous plus glorieux et majestueux les uns que les autres. Ils bombaient fièrement leurs coques sur lesquelles les lettres de leur nom s'alignaient telles des décorations obtenues sur le plus vaste champ de bataille du monde. L'Océan
"
|