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Contes, Nouvelles et Romans...

 

Histoires d'hier et d'aujourd'hui…
Jean Bruyat, sous sa plume sensible nous emmène dans le sillage des mots,
à l'écoute du temps, là où la mémoire funambule, là où nous retrouvons nos racines ou notre enfance.
Il était une fois …

 


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LA PASSANTE - JEAN BRUYAT

                    226 pages au format 15x21, dos carré collé, couverture quadripelliculée,
Editions GAP. (2011)

…« À  toutes les femmes qu’on aime
 
Pendant quelques instants secrets

À celles qu’on connaît à peine

Qu’un destin différent entraîne
Et qu’on ne retrouve jamais… »

                                                                                             
 ("Les passantes" : Antoine Pol mis en musique par Jean Bertola et chanté par Georges Brassens)

                


notes de lecture :   

     

« Jean Bruyat semble exercer un exercice jubilatoire avec l’écriture. Il joue avec les phrases, avec les mots, avec les sons, avec les images…Il manie avec volupté les retours au passé et les excursions dans le présent…On est transporté, bousculé à la recherche de la femme aimée, perdue puis retrouvée avant d’être à nouveau perdue mais définitivement pour n’être qu’une passante. 

Un polar ? Certes, mais une suite de « la maison aux volets bleus », titre d’un précédent ouvrage. Mais le personnage central à travers les épisodes particuliers, c’est bien la femme. Dans tout son esthétisme dont l’auteur s’enthousiasme et célèbre le cou avec récurrence (celui qui partage avec le lobe de l’oreille la goutte discrète de parfum, signature fugace qui laisse aux lèvres aventurières la fragrance du rêve).

Max Blanchard (Bulletin Municipal « SMH » ; août 2011)

                                                                              



Libre Passage : Après " la maison aux volets bleus", l'auteur martinérois navigue entre onirisme et réalité à la rencontre d'une femme qui semble voyager dans l'espace temps. Ce nouveau roman construit sur les rites de passage et de dédoublement, donne l'occasion au commissaire Taupin dit "le Héron" de conduire une nouvelle et passionnante enquête.

(Le metroscope N° 92 de novembre décembre 2011)


Extraits

         Paris gare de Lyon, 19h35. Je descends du TGV en provenance de Grenoble. La foule est là. Habituelle. Compacte. Colorée. Je l’observe un instant. J’hésite. J’éprouve un sentiment bizarre. L’impression de chercher quelqu’un. Un autre moi-même. Un être complémentaire. Quelqu’un qui me ressemble. Un double que je ne connais pas encore, mais qui, je n’en doute pas, me reconnaîtra.
           Qui n’a pas rêvé un jour de rencontrer cet ami, ce frère, ce jumeau…Cette ombre dont on ne se défait qu’à  contre jour, à contre temps, à contre cœur, à contre vie. J’avance.
         Sensation confuse mais réelle. Ça me   perturbe. C’est un peu comme si j’avais déjà vécu ce moment. Quand ? Je serais incapable de le dire. Où ? Peut être en ce lieu. Un autre. Une gare ! Celle-là ? Pourquoi pas ! Je ne sais plus. J’avance.
           À vrai dire, je n’ai pas envie de savoir. C’est un espace construit comme tous les autres autour de rencontres et de séparations. Comme la vie. Rencontre avec des inconnus. Avec l’inconnu. Toujours. On chemine sans cesse côte à côte avec des étrangers. On les croise. On les ignore parfois. On les évite quand ils gênent. Quand ils nous renvoient une image que l’on ne supporte pas.... Que l’on ne comprend plus. Que l’on ne veut pas voir de crainte de ne pas maîtriser la situation. Perdre la face devant la soudaineté, l’inattendu. Ça dérange. J’avance.

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        Un entremetteur zélé, visage bouffi et coiffure en pétard, s’approche. Il dégage de lourds effluves dus vraisemblablement à la stratification régulière de ses multiples couches de crasse. Il laisse croire aux arrivants qu’il va gérer leur attente.  Gérer le temps. Celui des autres. Pour s’offrir un tel luxe, il n’y a que les pauvres. Ceux qui n’ont rien à perdre. Une paume aux doigts boudinés s’ouvre juste assez pour laisser apparaître deux lignes noires. Une vie saccagée, empreinte d’interruptions. L’homme tente malgré ces points de suspension qui ont parsemé son existence de convaincre les plus incrédules. Il était pourtant, ironie mise à part, idéalement situé, juste au-dessous une affiche vantant le combat quotidien mené par une marque emblématique de la grande distribution : « l’équilibre n’attend pas ; manger et bouger font partie des plaisirs de la vie »…Tu parles  !
    Ravages d’une société où voisinent en permanence cloche et opulence. Désolation où se télescopent désespoir du passé et  avenir en lambeaux. Impasse du lendemain. Vie engloutie au rythme des galères d’une existence maintes fois interrompue.  J’apostrophe le bonhomme.
                                  -Je parie que vous n’avez pas mangé !
          Le type en guenilles relève la tête. Qui peut bien lui adresser la parole ? Qui a osé ? Il me dévisage. Dans ses yeux une foule d’interrogations. Son regard s’embrume. Il déborde. Un flot discontinu glisse sur ses joues  mal rasées. Sans prononcer une parole, il opine du chef…
          Je repose ma question. Le clochard me fait signe que non. Il renifle un grand coup tout en essuyant d’un revers de manche les dernières  larmes de misère qui perlaient encore, luxe inutile et vain, au coin de son œil toujours inquiet. Il articule enfin en fixant le sol.
                                  -Non M’sieur !
                                  -Bon ! On va aller en face au buffet. Suivez-moi !
           L’homme se redresse. Il a retrouvé une dignité. Sa démarche gauche rajoute un côté craquant au personnage. Je lui montre une table. Il s’installe. Je m’assieds en face de lui. Bientôt ses doigts boursouflés se referment sur un sandwich au jambon. Entre deux mastications bruyantes, il réussit à me glisser « ça fait du bien ! Deux jours que j’avais pas becqueté ! Merci M’sieur ! »

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         L’instinct est le plus fort. Je respire avec une lenteur mesurée cette étoffe dont j’exhume malgré moi, une multitude de souvenirs. Images. Personnages. Visages. Parfums. Fantômes.… Ballet. Sarabande. Farandole. Tarentelle. La tête me tourne. La fête me saoule. Je n’ai plus l’habitude. Ivresse. Frénésie des moments heureux. Délire de pauvre fou. Paumé de la vie. Pantin qui se raccroche à son passé. Mendiant du temps qui passe. Maraudeur de fruits défendus. Brigand d’amours clandestins.  Doux Pierrot qui, juché sur son rayon de lune, attend sa Colombine. Arlequin au costume en lambeaux, décoloré. Bouffon au cœur tendre…

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        Le commissaire me fixe. Imperturbable. Froid. Il me glace comme m’a glacé ce court séjour entre  ces quatre murs festonnés ça et là de graffitis, déposés par des inconnus de passage. Des passants ? Des passantes  !
        Passeurs de souffrances. Témoins muets d’innombrables moments de solitude. Traces déposées par des destins qui un jour se sont  croisés. Stigmates d’une multitude de vies déchirées. Appels au secours d’anonymes. Griffes, dans l’acide trempées, déchirant une nuit tombée trop tôt. Lambeaux d’espoirs suspendus, accrochés à deux petites syllabes : demain. Parenthèses posées sur des vies. Sillons de malheurs gravés dans le plâtre d’un mur sans ouverture. Sans perspectives. Aveugle ! Cris de douleur d’innocents. Combien ? Trop ! Aveux au silence arrachés. Repentirs  Tout ça hurle dans ma tête !  Serai-je un nouveau numéro ? Jusqu’à quand ?

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        Des pas dans ma direction. Une blouse blanche. C’est pas très original en ces lieux. Elle s’approche. La blouse s’adresse à moi. Je m’aperçois qu’elle est habitée par un très joli visage agrémenté au-dessus du front par des cheveux  bruns bouclés remontés en chignon sur l’arrière du crâne. Une perle brune à la peau matte.    Je découvre également sur cet emballage très seyant une étiquette à hauteur du sein gauche. « Faut-il que je lise la composition du mélange au risque de passer pour un obsédé sexuel louchant sur des attributs pourtant offerts spontanément à mes yeux, sans que je demande quoi que ce soit ? Je découvre, à l’instant, grâce à un repérage visuel glissant à hauteur de poitrine, les deux lettres « Dr », suivies d’un nom : « Nedjma  Boulaouane». Nedjma. L’étoile ! Je me laisse aspirer par cette invitation au voyage. Je m’accroche au sillage de ma bonne étoile. Nous traversons toute une série de constellations. Je passe de l’hémisphère austral à l’hémisphère boréal. J’accompagne mon Oiseau de Paradis, ma Colombe, ma Chevelure de Bérénice. Je vole !

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        Je me plante devant ma belle inconnue. Elle présente de toute évidence une ressemblance marquée avec l’une des statuettes de Janus, le Dieu à deux visages. L’un de jeune femme, l’autre d’homme portant la barbe. Deux visages. Tournés chacun dans une direction. Le passé et l’avenir. Le début et la fin. L’entrée et la sortie. La réalité et l’imaginaire. Le bien et le mal. Le jour et la nuit. La vie et la mort…Des couples de mots en opposition. Des paires qui ne se définissent et qui n’existent que par rapport à leur contraire. « Ça me conforte dans mes théories ! Mais tout cela me trouble profondément ».

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        Faut que je regarde devant ! L’avenir ? Que je laisse ce passé. Que je me détourne de lui. Que j’avance ! Oui mais…Ce  profil gauche de femme dans la salle de bain ? Janus ! Dieu des passages. Des chemins. Qui a-t-elle vu passer ? Qui a-t-elle fait passer ?  N’ai-je pas été moi-même, selon les circonstances, un passeur autant qu’un passant ? Nous sommes tous  des êtres doubles en proie à leurs contradictions ? Leurs espoirs ? Leurs envies ? Leurs sentiments ? Leur perception du monde ? Leur interprétation de la réalité ? ».

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        Mado disparaît. La revoilà. Elle me sourit. Je la suis des yeux. Un geste de la main…Il pleut !
        Pluie glacée. Flot d’encre noire échappé. Profond. Comme autrefois sur mon cahier d’écolier, en nappe monotone. Renversé. L’encrier se vide. Solitude froide d’une nuit qui glisse, s’étend. Me prend. Mots sur la table, en désordre répandus. Perdus. Ils ne savent plus où se réfugier, se réchauffer. Fuite inexorable du temps. J’aurais voulu, dans ces larmes noires qui lentement étirent un corps informe, mes doigts tremper. Porte-plume de fortune, pour au papier confier, en pleins et déliés, mes pleurs enlacés. Pinceaux de soi, pour retoucher ton éphémère beauté de verre. Redessiner le doux galbe de ton visage. Sur ton front porcelaine fragile, déposer des instants d’éternité. Amplifier l’impossible frémissement de paupières que j’espérais sans vraiment trop y croire. Quand mon souffle gourd t’a effleurée, pour, en secret t’avouer combien je t’aimais, combien encore, je t’aimerai.


       


                         


TOUTE REPRODUCTION, MEME PARTIELLE, INTERDITE SANS L'ACCORD ECRIT DE L'AUTEUR.
  

 


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