Jean Bruyat a apporté également sa collaboration à d’autres projets dans différents domaines.

 

                     - l’écriture :

 

                       *  " Je, tu, ils…ma ville " de : 

                                    - Michel Etiévent (écrivain) et Fernand Garnier (écrivain et auteur dramatique), 

                   en écrivant toute la partie intitulée « je me souviens… » sous le pseudonyme de Jean René Vincent

                  Ouvrage édité par l’Amicale Laïque de St Martin d’Hères aux éditions Comp’Act de Chambéry en 1993.

                                                                                                                    

Extraits

Je me souviens de la marée bleue des travailleurs 
Ruisselant interminablement sur l’avenue Ambroise Croizat.

Je me souviens,
Pensées noires,
Têtes baissées,
Lueur filtrant…
Têtes levées,
Voûte lumière,
L’espoir est là,
Au bout du jardin…

 Je me souviens du petit train de la distillerie,
Train qui roule, train qui choque, train qui tourne, train qui claque, freins qui grincent
Dans le petit matin encore endormi.

Je me souviens cloches, clochettes, sonnailles, de celle du tram
Impérative.

Je me souviens cloches, clochettes, sonnailles, de celle du garde-barrière
Répétitive.

Je me souviens cloches, clochettes, sonnailles, de celles des troupeaux
Lascives.

 Je me souviens de mon école, semis fertile d’un futur déjà mûri.

 Je me souviens des fêtes de la jeunesse,
Du défilé blanc et bleu battant au rythme des culottes courtes.

 Je me souviens dans la verdure du foyer
Des lampions illuminés de mes 14 juillet adolescents.

 Je me souviens de cette cabane près des acacias, le long des grumes du père Machot,
Là-bas, senteur de terre et de goudron,
Fragile rempart de nos secrets.

 Je me souviens de l’odeur du chlore et de la pluie du lendemain.

Je me souviens des flots boueux de l’Isère égarée, inondant la Grand Rue de la Croix Rouge.

 Je me souviens du parfum vanille des biscuits poussé par la brise folle de l’été finissant.

 Je me souviens de ces soirs d’automne,
Crépuscules tranquilles,
Parfumés à l’herbe fraîchement fauchée,
Couchée le long des fossés au regard glauque.

 Je me souviens du souffle de la faux dans l’or des moissons,
Des senteurs de fenaison, des chevaux fumants dans les labours humides.

                                                                           

                                                                                             retour à l'index





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                 travail collectif d’écriture sous la responsabilité de 

                                  - Charles Rollandin (enseignant) avec SMH Histoire - Mémoire vive 

                en écrivant quelques portraits de personnes ayant vécu à la Galochère à Saint Martin d'Hères (jeanne Bruyat, Juliette Veyret, Suzanne Plat).

                Ouvrage édité aux éditions des Presses Universitaires de Grenoble en  2002.

                                                                                                              


                                                                                                                           Extraits

                                        -Jeanne (Jeanne Bruyat, concierge à l’usine Neyrpic de la Galochère)

 

                        "Réservée, presque timide, serrée entre sa robe noire et le coin de la table, près de la fenêtre, elle écoute un grand moment, attentive. Ses yeux, ses mains usées par les ans, s’activent, fouillent le passé. Elle remonte près de soixante années d’une vie. Depuis ce jour d’octobre 40, où elle s’installa au 29 avenue Jean Jaurès, avec René, son époux. Il avait été licencié des T.O.D, société de transports publics de Lyon et placé d’autorité chez Neyrpic. Heureuse époque où l’ancien patron trouvait un emploi à celui qu’il mettait dehors pour raisons économiques"...                                                            

                       ... "Entre regrets et mélancolie, les souvenirs s’égrènent. Les ateliers de mécanique qui succèdent aux fonderies Rivoire, la tôlerie, la chaudronnerie avec Louis Favre, l’époque des gazogènes entre 40 et 46, la guerre" ...

                       ..." Il est vrai que les cartes d’alimentation en vigueur jusqu’en 1949, ne permettaient pas de s’approvisionner correctement. La vie était souvent rude et les petits suppléments inespérés réchauffaient les cœurs encore meurtris par cette guerre qui, malgré tout, s’éternisait"...                                            

                        ..."L’après guerre voit l’usine tenter de diversifier sa production. En plus des fameuses turbines Pelton devenue légendaires, peu de réussite pour les semoirs « semora » ou les machines à briques. Il faudra attendre les années 56-57, en plein envol pétrolier pour qu’une nouvelle fabrication démarre : les foreuses. L’usine est alors remise à neuf. Certains bâtiments sont rajoutés, comme le banc d’essais, le long du chemin des Anguisses ou l’atelier de peinture de « Minet » Cabrera. Le magasin, lui aussi, prend un air de jeunesse"...                                             

                        ..."Un moment. Une fuite. Le regard qui devient moins intense. Une pause nostalgique comme pour toucher ce passé, cette jeunesse savourée à la sauvette, au détour des mots. Silence qui en dit long. Puis quelques noms reviennent comme les perles que l’on enfile et qui glissent sur le collier du temps : Ségura, Derboeuf, Joly, Conti, Hadrys, le Gust, Camille, Jorquera, Vidal, Causse, Félix, Gros, Bouvier, Grange, Jérôme, Parisotto....
                       ..." Aujourd’hui, de sa conciergerie, il ne reste plus qu’un mur de clôture. Un mur simple et froid. Borgne et sourd. Plus de fenêtres sur lesquelles Monsieur Truc-Vallet déposait le pain dont la croûte refroidie par la livraison à bicyclette exhalait, encore croustillantes, les petites histoires de Gières. Innombrables moments enfouis sous des tonnes de poussière de murs. Multitude de souvenirs perdus à cet endroit, entre Isère et Drac, où vivait aussi jadis, le Galocher"...

 

                                               -Juliette (Juliette Veyret, épicière, Comptoir d’Epicerie Fine Badin-Defforey à la Galochère)

 

            ..."Comme autrefois, je prends plaisir à bavarder un brin avec Juliette l’ancienne épicière de la Galo. Autour de la table de sa salle à manger dans son immeuble moderne.  Aujourd’hui ,peu à peu viennent s’inviter et  s’attabler les souvenirs d’un passé récent. C’était hier…           
           
Quand ils sont rentrés dans ce magasin aux allures de vieille épicerie de campagne, avec des casiers en bois vernis, superbement ornés d’étiquettes manuscrites sur lesquelles la patine des ans avait déposé ça et là les festons d’une vie commerçante bien remplie, Juliette et Noël sentaient bien qu’ils vivraient l’affaire à leur façon. Ils faisaient confiance à leur expérience et à l’enthousiasme de leur jeunesse.

            Pendant quelques temps encore, la Marie et son père Bayard peuplèrent de leur silhouette la petite salle aux murs quadrillés et au centre de laquelle trônait un comptoir superbe dont le plateau ouvragé était rehaussé de colonnettes à la taille fine et au ventre rebondi. Elles supportaient un bandeau qu’avaient lustré, en deux endroits bien précis, les doigts curieux des enfants qui, depuis des années, se suspendaient à la barre pour être sûrs de dévorer par deux fois, d’abord des yeux et ensuite par les papilles gourmandes, le sucre d’orge dont les torsades rouges se détachaient sur le fond bleu sombre du tablier du père Bayard. Le brave homme, devant ce tableau croquant à souhaits, souriait dans sa moustache grisonnante"....           
               ..."L’oeil pétille et s’allume de la flamme malicieuse du souvenir.

                                   - Le long de l’avenue de la Galo, il y avait un trou dans le mur de l’usine. Par ce trou, s’écoulait le trop-plein d’eau du compresseur et entraient clandestinement de nombreux litres de rouge rendant l’univers industriel un peu moins morose aux ouvriers.
             Quand le pot aux roses fut découvert, le directeur ordonna au responsable de l’entretien, qui n’était autre que René Bruyat, de trouver une solution. Celui-ci, après avoir étudié la  « chose », dut poser, soudés les uns aux autres, une dizaine de tubes permettant toujours à l’eau de s’écouler mais interdisant définitivement l’accès hautement illicite des bouteilles de vin"... 
         ..." Puis, peu à peu des superettes se sont créées et l’U2 a partagé St Martin d’Hères en deux.  Fracture. Entre asphalte et bitume, le temps s’est fêlé, pressé, grisé par la vitesse. Il oublia que, dans « l’avant jeux olympiques », on venait encore à l’épicerie de la Galo, pour bavarder un brin" ....

                                     -Suzanne (Suzanne Plat, fille de Madame et Monsieur Gonthard,Café, arrêt de tram et de bus à la Galochère)

 

            ..."Station de la Galo. Entre rail et route. Halte obligée des voyageurs se rendant aux Anguisses. Carrefour de l’information pour d’autres en quête de nouvelles toujours fraîches. Le « Bar Louis », sous l’aile accueillante de sa verrière, offrait à tous l’hospitalité sage et tranquille du patron et de la patronne, Louis et Marie Gontard, originaires des Hautes Alpes et installés à St Martin d’Hères depuis janvier 1926.  En écoutant Suzanne Plat, leur fille, faire revivre ce petit peuple des années trente, on a l’impression que soudainement la salle à manger frissonne de personnages plus truculents les uns que les autres.
            Les joueurs de belote, tels le père Roche, qui restaient parfois jusqu’à quatre heures d’affilée à calculer les coupes, à déployer des trésors de stratégie pour piéger l’adversaire. A refaire le monde tout en redistribuant les cartes...devant la même tisane"...

           ..."Les usagers de la Régie qui, de temps en tram, venaient quémander un peu de chaleur et sortaient rassérénés après un petit coup de ratafia, lorsque résonnait le signal annonçant le départ de la rame en gare de Gières.

                                   - Ah, ce tram ! Quelle époque ! tu te souviens Suzy quand le père Porax officiait dans son compartiment...?  Cet homme était en fait un rhabilleur ou un rebouteux et il réservait tout un compartiment pour exercer son art. Tous ceux qui avaient besoin de ses services prenaient le tram et pendant le trajet jusqu’à Grenoble. Les éclopés pouvaient retrouver leurs vingt ans un moment compromis par une entorse ou une vertèbre rebelle.

- Après il y a eu le car, en septembre 1947. Le distributeur de billets était là. C’était monsieur Coste qui venait relever la billetterie"...

..."Ce n’était pas comme le père Fabbri, le cordonnier. Lui, il prenait son temps l’après-midi. Ses souliers attendaient pendant qu’il jouait de l’accordéon....Valse à trois temps, un pas en avant, deux en arrière. L’âme vagabonde et vagabondent les souvenirs. Le gros livre s’ouvre, laissant glisser les regards attentifs sur quelques photos que le temps a jauni et rendu encore plus belles. Elles ont pour elles. La fragilité du souvenir qu’elles effleurent. La puissance évocatrice de l’imaginaire qu’elles réveillent.         

           


                                                         -La navigation sur l’Isère…

 

 

                                     

 

                                                                                                                     Image "la batellerie sur l'Isère" (les rues de Grenoble P. Dryfus Ed Glénat p 27) 

 

            L’Isère, au gré du temps, s’était offert une petite fantaisie. Dans cette partie de plaine alluviale située sur les territoires de St Martin d’Hères et de Gières, le « Tour de l’eau »  étirait son cours indolent. Il s’étalait. Il s’allongeait. Il musardait. Il se fourvoyait tel un estivant en quête d’aventures. Un nouveau bras, peu à peu, s’était modelé. Le fil de l’eau s’était  conjugué  avec le fil du temps...

            La « Relaissée »  qui est le nom donné à cette boucle de 3520 toises de long (7,5km)  disparaît après les inondations de 1729. En effet, cette année là, l’Isère décide en fille turbulente et peut être infidèle de changer de lit. Sans autorisation particulière, elle applique à la lettre les lois les plus élémentaires de la géométrie et de la dynamique des fluides. Elle profite donc de cet évènement naturel pour se frayer à travers champs un chemin direct, en ligne droite. Par ce mouvement d’humeur, elle se sépare de ce méandre pourtant légitime et tranquille qui accueillait, depuis le moyen âge, à longueur de journée, force voyageurs ou travailleurs de l’onde…

            Bacs, bateaux de passe, pontons, porte mailles, batelets de tous ordres se succèdent au rythme des flots. Jusqu’au 18è siècle, les chemins ne sont guère utilisables que par les chevaux. Les cours d’eau apparaissent comme des moyens rapides, plus sûrs et efficaces pour assurer les transports commerciaux même, si comme le signale le Conseil de Navigation du Département de l’Isère, le 26 vendémiaire an XI de la République, «  la navigation sur l’Isère nécessite beaucoup de dépenses et présente beaucoup de difficultés ».                    

              Le port de Gières, en amont, voit défiler quantité de matériaux. Du fer et de la fonte d’Allevard, aux ardoises de Tarentaise, en passant par les cuirs, les vins, les poteries, le plâtre, les engrais...sans oublier, « à la remonte », le sel des salines du Languedoc en convois entiers de patache, transportant parfois jusqu’à cinquante tonnes de la précieuse denrée.

                 Cette activité intense, les acteurs de la vie locale, mariniers, charpentiers, fustiers, gabeliers, bouviers et autres cordiers, la côtoient hiver comme été, de l’aube au crépuscule. On dénombre une quarantaine de ces derniers avec les teilleurs ou peigneurs de chanvre vers la moitié du 19è siècle, ce qui était relativement important pour l’époque. Par ailleurs, le nom de Marinière donné à un lieu-dit, situé vraisemblablement dans le quartier actuel de Malfangeat à St Martin d’Hères, montre l’existence de rapports étroits entre la batellerie et la culture du chanvre.

              Le cordier est considéré, en effet, comme un auxiliaire direct de la navigation. Le rapport de l’aspirant ingénieur Gaduel en 1843 donne un certain éclairage sur cette activité, disparue elle aussi avec le développement, un peu plus tard, de la vapeur et du chemin de fer. Peu à peu, le déclin s’amorce. En 1845, si on compte encore 220 bateaux et 455 trains de bois, quatre ans plus tard, il n’y en a plus respectivement que 130 et 232…

                      Pourtant pour effectuer les « remontes », des trains de trois ou quatre bateaux étaient attelés les uns aux autres par des cordages et halés par des bœufs dont il fallait détenir, d’ailleurs, un assortiment très complet. Ces cordes, appelées mailles, mesuraient généralement cent mètres de long et devaient être remplacées très régulièrement. Elles n’avaient une durée de vie que de trois cents kilomètres environ (trois remontes entre Valence et Grenoble) soit, au rythme du transport, à peu près un mois. On comptait entre dix et douze jours, en temps normal, pour une remonte.

                           La demande était importante. Le coût de la maille ne l’était pas moins. Une maille vendue 1,60 F le kg, pesait aux alentours de 150 kg...Elle revenait donc à 240F. Pour avoir une idée plus précise de la dépense, il faut noter qu’à cette époque, vers 1840, un bateau neuf coûtait 1000 F, et une paire de bœufs 1000 à 1200F. Enfin un marinier gagnait 50F par mois, un bouvier, 30 et un mousse, 20…À travers ces quelques chiffres,  on a une idée assez précise de la dure vie quotidienne que ces hommes et leur famille pouvaient mener.

                   Aujourd'hui, j’imagine aisément tout ce petit monde au verbe haut, au parler franc, au langage coloré. Tous ces marginaux retenaient la  méfiance des paysans, gardiens vigilants d’un monde immuable et clos depuis des lustres. Cette attitude suspicieuse à leur égard ne pouvait que les renforcer dans leur esprit de corps. Tous ces hâbleurs en faisaient preuve à chaque difficulté à chaque naufrage ou encore à chaque Saint Nicolas, patron des mariniers et des gens de rivières. On les retrouve, buvant et chantant installés sur le parterre devant l’auberge. Ils hèlent « la Galochère »*, entre deux pintes de vin, le temps que les bœufs se reposent et mangent, avant de « crocher » de nouveau et repartir pour se rendre un peu plus loin dans la vallée du Grésivaudan avec leur précieux chargement de sel. Il ne  leur restait pas grand chose, pour leurs prochaines dépenses de gosier. Au point suivant, à deux ou trois heures de remonte où, là encore, ils devaient repos et nourriture à leur quarantaine de bœufs…

 

 

                        Que de moments enfouis, ressuscités autour de ce qui n’est plus aujourd’hui qu’un espace banal agrémenté par endroits de balthazar. Chaque pierre, pour peu qu’on la soulève, qu’on s’arrête un instant et qu’on regarde passer le temps, laisse filtrer ces moments du passé. Ils sont à n’en point douter profondément incrustés dans le sol. Ils sont sculptés à même cette terre foulée par des générations et des générations d’hommes et de femmes qui ont vécu là. Enfants du hasard, de la providence ou de l’aventure.   Leur mémoire fait revivre encore aujourd’hui à  celui qui sait prendre le temps, ces souvenirs qui flottent toujours au gré du fil de l’eau…

 

 
(*) : « La  Galochère » nom attribué à la tante de l’aubergiste, Jean Michel Molard qui habitait « la dernière maison du confin de la paroisse de St Martin d’avec Gières »; décliné vraisemblablement par le curé Brenier pour désigner la femme de « Galoché », surnom officiel relevé dans les registres paroissiaux et donné à une famille Rey de Poisat puis de St Martin.

 

Documents, sources d’informations :

SMH histoire ( Georges Salamand)
ADI B 3358, fol 152 (Thérèse Sclafert)
ADI VI S 9/28
Jean Pierre Dubourgeat « 1984, XXX congrès des Sociétés Savantes de Savoie p 251,264 » ; Actes du Colloque du CTHS (la ville et le fleuve Congrès National des Sociétés Savantes ; Lyon 1987 p 253,272) .

 

© Jean Bruyat  (recherches effectuées pour le compte du collectif « du Tour de l’eau à la Galo » ; Charles Rollandin ; 2002)


                                                                                             retour à l'index




                         * " L’école à St Martin d’Hères au XIXè siècle "  

                     en collaboration avec Georges Salamand (historien) et Pierre Rolland (journaliste)

                     Les cahiers de  SMH Histoire N° 17 octobre 1984

                                                                                           

                                                                                                                    

                                                                                                                                    Extraits

               "En réunissant et en déchiffrant patiemment un certain nombre de documents retrouvés dans le grenier de l'ancienne "école-mairie" du village, Jean Bruyat a réussi à faire revivre l'enseignement primaire à St Martin d'Hères au siècle dernier. Il a eu l'idée de porter à la connaissance des Martinérois l'histoire de cette école, développée dans le précédent cahier de SMH Histoire, dans le cadre de la commémoration du 50è anniversaire de l'Amicale Laïque de St Martin d'Hères. A travers le résultat de ses recherches, on suivra le cheminement de notre école, si précieuse mais si fragile et constamment menacée. Les documents présentés ont trait pour l'essentiel à l'école du village. Mais l'école du village c'était celle de la commune tout entière...." (Pierre Rolland)

                 "...Restituer le vrai, le vécu, dans les contradictions d'alors, éclairées par les diverses approches que nous permettent la science historique, les documents et les archives communales. Il ne s'agit pas de tenter de faire rentrer dans je ne sais quelles fourches caudines d'une Histoire Nationale de l'Ecole, notre histoire communale martinéroise, mais  bien de découvrir les convergences entre le niveau local et le niveau national...Nul doute qu'il fera date dans notre mémoire collective et deviendra  un document de référence pour toutes celles et ceux qui ont à coeur de dire les choses telles qu'elles étaient, les faits tels qu'ils sont..." (Jo Blanchon, Maire Conseiller Général)

            

                   - l'actualité  :

                               Intervention, dans le cadre de la commémoration du « centenaire  des lois sur la laïcité », lors d’un colloque national « Sports et Laïcité » (*) organisé par la Fédération Nationale des Offices Municipaux du Sport en 2005, à St Martin d’Hères.

 (*) : Intervention retranscrite dans la revue nationale « Sport dans la Cité » N° 185

                                                                          

          

                    « Esprit Sportif et Laïcité » St Martin d’Hères samedi 24 septembre 2005 (Intervention intégrale)

 

                                     En tant que constructeur, qualité que m'a attribuée fort gentiment notre Président Serge Roy tout à l'heure, j'ai envie de bâtir un décor, j'ai envie de dire, "il était une fois…" du sable, le désert, un enfant aux cheveux couleur du blé…un renard.
                                     L'un s'adresse à l'autre et dit : "que signifie apprivoiser ?" 
  L'autre répond : "créer des liens…"  

                                  Et si le sport favorisait entre autres, la rencontre avec l'autre, le différent, celui qui nous aide à tisser les liens nécessaires, indispensables qui vont petit à petit permettre notre construction, nous aider à devenir nous même dans une véritable société de l'échange, dans le respect des droits et des devoirs de chacun… 

Mais,

Le sport, au cours des siècles et surtout lors des plus récents, a été mêlé, impliqué, voire pris en otage, par des phénomènes liés au racisme, à la religion, au social, au culturel, à la politique ou à l’économie.  Quoi de plus tentant en effet, pour certains  esprits que d’utiliser, de traduire à son profit  dans le concret sportif et surtout dans cette vitrine, les bienfaits, les réalisations, les avancées, les progrès, les certitudes qu’ils ont mis en œuvre, afin de démontrer dans les faits, la supériorité de leur système, de leur science, de leur théorie, de leur idéologie, de leur cause, bref, de leur dogme.  

Aussi,

Lorsque le Président Christian Frédiani m’a contacté au téléphone, j’ai eu un doute. Une première incertitude en ce qui concerne la façon d’orthographier le « et »
                                            J’avais le choix entre le « et », conjonction de coordination, reliant deux éléments d’égale importance ou de même nature :

                    D’une part, l’esprit sportif     et, d’autre part, à égalité avec le premier terme, la laïcité.

Nous sommes donc dans ce premier cas dans une relation de parfaite équivalence :  L’esprit sportif et la laïcité vont de pair, à importance égale.

                             J’avais une autre possibilité, en choisissant l’autre  « et », qui peut s’écrire « e s t », c'est-à-dire, le verbe être.

             L’esprit sportif est, était, sera, doit être, rester, demeurer, laïcité. L’esprit sportif fait partie intégrante de la laïcité. Il ne peut se concevoir sans les valeurs portées par la laïcité. 

Nous sommes dans ce deuxième cas sur une notion d’existence, en utilisant des verbes d’état. Le Sport n’existe, ne peut se réaliser pleinement que dans la laïcité. 

Ces deux interprétations m’ont amené tout naturellement à essayer de développer ces deux principes de base, d’équivalence et d’existence, en les illustrant par des exemples pris ici ou là.

Je m’efforcerai donc, au cours de cet exposé, à souligner les concordances, les dissonances, les ambiguïtés pour ne pas dire les oppositions voire les impossibilités d’une part, et d’autre part, selon moi, les obligations, les incontournables  pour que sport et laïcité puissent  durablement être au service de l’homme, dans toutes ses composantes, mais également au service de la citoyenneté au sens large et bien évidemment, de la démocratie.

 

 Cependant, 

            les exemples recueillis dans le domaine sportif, toutes époques confondues, nous placent devant un certain nombre d’ambiguïtés, ou d’équivoques. Cela ne fait même que rajouter à ma perplexité initiale…

               Ne parle-t-on pas de Dieux du stade ? Dieux étant d’ailleurs au pluriel, marque d’un sport polythéiste ! Voire panthéiste (tout étant Dieu et l’homme, bien entendu, une partie de Dieu).

Effectivement, lorsqu’on parcourt un peu  l’antiquité sportive, on apprend que déjà, en 186 avant JC, les athlètes à Rome, avaient leur propre collège, leur caisse, leur xyste, leur temple d’Hercule. Ils réunissaient  déjà tout ce dont avait besoin leur puissante corporation. Ils avaient mis en place un système assez complet puisqu’ il leur permettait de  concentrer en leur pouvoir, l’éducation, la banque, les locaux destinés à la pratique sportive ainsi que la religion.

Sport et religion auraient ils été conçus, écrits, comme le coran et l’ancien testament, dans des langues sémitiques parentes. La religion, donc Dieu, Allah, issus d’ailleurs de la même racine linguistique, ou Yahvé, interviendrait elle dans le fait sportif, comme dans le cours de l’histoire ?

            En effet, le sportif n’est il pas un pratiquant, un adepte de telle ou telle discipline, suivant ou devant suivre scrupuleusement les règles, les rites, préconisés par telle ou telle chapelle prêchant elle-même telle méthode ou stratégie, plutôt que telle autre…

                        N’avons-nous pas vu ou entendu parler de grands prêtres du cyclisme, de la gymnastique…

                        Ne sommes-nous jamais allés, même par télévision interposée, dans un temple du rugby ?

Les joueurs, avant une rencontre capitale n’ont-ils jamais entendu la grand messe de leur entraîneur, de leur coach, de leur « gourou » ?

Et la communion, juste avant le début du match…et pendant, avec les spectateurs…

Que dire du silence religieux qui règne à certains moments sur un stade…

J’ajouterai également que depuis un certain temps, on nous montre des images de sportifs qui se signent, qui, même remercient Dieu de leur avoir donné la force de vaincre…

                        Que penser également du comportement de certains systèmes idéologiques, voire politiques, qui, les exemples ne manquent pas, ont utilisé le sport pour véhiculer leur « croyance » qu’ils souhaitaient transformer en un véritable socle de civilisation.

                        Comment interpréter les incursions de plus en plus fréquentes du « tout économique », avec son cortège de cotations boursières, donc indirectement d’actionnaires qui auront bientôt tout pouvoir, dans le domaine sportif ?      

                       Nous sommes apparemment, et j’insiste sur le terme apparemment, loin du contexte dans lequel la loi de 1905 a été promulgué et appliquée. Certes, mais les temps ont changé. N’aurions nous pas intérêt, aujourd’hui, à regarder ce qui figure dans cette immense toile d’araignée très complexe, tissée en l’espace de cent ans, afin d’en prendre en quelque sorte le contrôle, de façon à resocialiser, donc à se réinscrire dans un projet collectif assaini. 

Effectivement, n’y a-t-il pas aujourd’hui : 

Fétichisme, animisme, mysticisme, mimétismes  contemporains, nés de la perte de repères, de l’abandon de certaines valeurs ? Ou tout simplement Mystification ? Dérives inconscientes, falsifications parfaitement conscientes  quant à elles, mais plaçant l’homme dans la dépendance totale d’un « divin », quel qu’il soit ?

            A ce propos, d’ailleurs, Nietzsche  pensait que le  « surhomme », donc « l’être suprême », ce « divin », vénéré par n’importe quelle  religion ou dogme, avait été créé par les faibles, les vaincus de la vie qui auraient, par conséquent, inventé aussi un « au-delà » pour compenser leur propre misère.
 

Tous ces signes ne sont ils pas autant de sonnettes d’alarme marquant la perte de confiance en l’homme, le refus de croire en lui, mais surtout, le fait d’abdiquer au profit d’un personnage suprême (dont les caractères  sont définis extérieurement comme ceux d’un objet) que certains déçus ou au contraire nantis de la vie et de la société s’imposent et que par extension, ils souhaiteraient imposer à d’autres.  
 

                    Nous nageons en fait dans un océan de « perplexitudes », que nous rencontrons y compris en nous rapprochant de l’esprit que le baron de Coubertin avait souhaité restaurer sur l’autel d’Olympie. Ne pas en faire référence relèverait, à mon sens, d’une amnésie coupable, surtout dans notre vallée de l’Isère.

                        En effet, le fameux « plus vite, plus haut, plus fort » attribué à tort au baron, provient en réalité du « citius, altius, fortius », formule inventée par un voisin, un habitant du Touvet, (petite bourgade de la vallée du Grésivaudan à une vingtaine de kilomètres d’ici), un ecclésiastique, le père Didon…

             Je voudrais maintenant, afin de rester dans une conjoncture factuelle de laïcité, citer trois exemples, dont deux concernent des sportifs célèbres : 

                        J’évoquerai en premier, le cas d’Albert Richter. Il fut champion du monde de cyclisme et champion d’Allemagne de 1932 à  1939. Tout, dans ce champion d’exception pouvait faire de lui le « chouchou » du Reich. Il aurait pu incarner superbement les valeurs du nazisme…
            -Pourtant, lorsque dans le stade, les bras se tendirent pour exécuter un salut de sinistre mémoire, le sien resta en bas…
            -Pourtant, lorsque les cyclistes arborèrent sur leur maillot, une croix de funeste renommée, lui, conserva le symbole de l’aigle royale…
           -Pourtant, lorsqu’on lui proposa un entraîneur aryen, il refusa et conserva le sien Ernst Berliner, un Juif…Ce grand sportif qui a su dire « non », fut suicidé…
            -Pourtant, il aurait pu…Combien de jeunes en mal d’identité, en quête de guide spirituel, en recherche de repères, auraient-ils pu, grâce au sport, se convertir au nazisme ?

Mais combien en a-t-il sauvé en entrant dans « sa » résistance face à une machinerie implacable, destructrice qui voulait réduire une partie de l’humanité à l’esclavage, à la négation même de la notion d’individu, en renonçant au principe d’existence… ?

                        Pour le second exemple, j’ai choisi un autre champion. Un presque voisin, lui aussi puisque de Bourgoin Jallieu. Le « petit prince » du ring, comme on le nomme. Je veux parler de Brahim Asloum, première médaille d’or aux jeux de Sydney en 2000 dans cette discipline, depuis 1936 aux jeux de Berlin. Il participait récemment à une émission de France Inter. J’ai relevé l’un de ses propos, parlant de ses frères et sœurs.

 Je cite « Mes parents ne nous ont véhiculé que des bonnes choses. Mélangeant dans notre éducation à la fois la tradition musulmane et celle des chrétiens, ils ne voulaient pas que nous soyons différents des autres à l’école. Chez nous, à Noël, il y avait un sapin et des cadeaux pour chacun. Ils voulaient que nous soyons parfaitement intégrés et fiers de notre pays… ».

                        Quant au troisième, il est plus personnel. J’ai mené au fil de mon métier de « maître d’école », un certain nombre de projets avec les enfants. J’ai eu besoin pour certains d’entre eux d’un soutien « professionnel ». J’ai du faire appel à un moment donné aux services d’un jeune footballeur Alain Noël Gentil (voyez que nous restons quand même dans le domaine sportif), pour utiliser ses compétences d’auteur compositeur, en vue de créer les paroles d’un chant et la musique d’un film tourné avec les enfants de l’école et les villageois. Ce jeune est donc intervenu dans « mon » école,  « mon » école publique, laïque, avec « mes » élèves, pour leur faire chanter  la chanson qu’il avait composée. Je m’en souviens encore, comme si c’était hier. Il m’a dit : « Tu vois, Jean, je suis dans ton école. La croix que je porte autour du cou, je la mets dans la poche… ». Vous l’avez compris, ce jeune footballeur, auteur compositeur, était aussi prêtre.

            Alors, me direz-vous, quoi de commun entre ces trois exemples concernant l’un, un Juif, l’autre, un Musulman et le troisième, un Catholique ?

C’est, je crois, assez simple en fait.

Les trois ont su faire la différence, à un moment donné, entre leur sphère privée, personnelle et la sphère publique. Ils ont su, chacun à sa manière, faire preuve de lucidité, de clairvoyance, voire de résistance. En un mot, de respect envers une certaine éthique (mot que je préfère à esprit), en marquant volontairement, 

-une certaine indépendance du sportif vis-à-vis du dogme politique, pour l’un, 

-une certaine neutralité même de neutralisme de l’école (seul lieu où sont tous les enfants), pour les deux autres.

Ils ont su conjuguer sphère privée et sphère publique, grâce à ce principe fondamental et ultra simple, qu’est le respect de l’autre. 

« L’autre me vaut et j’ai à lui dire merci… » Nous dit Albert Jacquard, grand humaniste contemporain.

Respect est bien le mot juste, la clé de voûte indispensable pour que l’édifice de la construction de l’homme, ce passage entre les piliers de la civilisation, entre des colonnes porteuses de valeurs fondamentales, de principes essentiels que sont : liberté, solidarité, équité, humanisme, démocratie, laïcité… se fasse de la meilleure manière possible. Mais, comme la porte qui permet un passage de l’intérieur vers l’extérieur, ou au contraire, de l’extérieur vers l’intérieur, ce mot respect, synonyme d’ouverture, doit être à double vocation. 

« Je suis respecté, donc je te respecte » mais  également, « je te respecte, car je suis respecté ». « j’ai pu apprendre à dire je, parce qu’on m’a dit tu » nous dit encore Albert Jacquard. « Ce que je suis, ce sont les liens que je tisse avec les autres ».

L’homme puise sa force, non dans la notion de surnaturel, de spiritualité, mais dans le contact, la relation duale avec l’autre. Deux éléments de même nature et de même importance. Nous sommes bel et bien dans le principe d’équivalence, énoncé tout à l’heure, et également de réciprocité et d’enrichissement mutuel. 

Le défi majeur à relever, n’est pas de s’inscrire dans un dogmatisme quel qu’il soit, mais de savoir vivre ensemble. Défi dans lequel, les hommes, loin de rivaliser, vont coopérer donc progresser et par voie de conséquence, atteindre, comme en sport, des performances supérieures, par eux-mêmes, grâce à eux-mêmes, sans l’intervention d’un « divin ».

C’est pourquoi, il est plus que jamais nécessaire, toujours et encore, inlassablement, d’organiser des rencontres. Toutes sortes de rencontres et évidemment sportives, bien sûr, entre et avec les hommes, dans le but final, non pas de dominer l’autre en vue éventuellement de le détruire, de le rabaisser, mais de devenir soi-même, et si possible meilleur que soi, afin de se construire. Se vaincre soi-même en s’aidant des autres, l’autre n’étant plus un ennemi mais une aide, un égal. Voilà un beau défi à relever pour tout sportif ! 

Je ferai remarquer au passage que l’illustration  de ces propos se matérialise, se concrétise lors de toutes rencontres sportives. Ces notions sont effectivement la plupart du temps traduites au niveau du respect de l’adversaire, du respect de l’arbitre, de ses décisions, du respect de la règle de jeu. Tout ceci doit évidemment perdurer afin de maintenir l’éthique sportive dans son ensemble en tout lieu et en toute circonstance. 

On imaginerait effectivement assez mal une rencontre au cours de laquelle chacun aurait la possibilité d’appliquer, donc de suivre sa propre règle ou de porter sa propre tenue vestimentaire. Il en est de même, en dehors de la rencontre.

Que dire du sportif qui n’accepterait pas de se conformer au règlement intérieur du club auquel, soit dit en passant, il a adhéré volontairement.

Que dire encore de celui qui ne suivrait pas, pour des raisons strictement personnelles, donc privées, les règles élémentaires induisant un comportement respectueux des principes incontournables, nécessaires à la réussite de la vie sportive collective, ne fût ce que quelques heures, dans la semaine.

 Je pense en particulier aux entraînements physiques, à la préparation psychique de la rencontre, aux instants de récupération de l’après activité physique intense…etc. 

Le pratiquant sportif doit céder le pas à l’individu sportif, tout en restant, ce qui est encore le plus  important,   citoyen sportif.  Un langage commun, admis de tous, doit exister et être appliqué, éventuellement après des échanges constructifs, sans faille, afin que tous puissent se comprendre, vivre ensemble leur rencontre et exister, deuxième principe énoncé au début de mon propos. Existence. La sphère privée de chacun doit impérativement s’effacer devant la sphère publique, en respectant une conduite, une déontologie, une loi.

 Cette loi, admise de tous, dans le respect de chacun, de ses croyances, de ses non croyances, de ses appartenances, de sa philosophie, de sa culture dans la dimension républicaine et démocratique d’une nation, existe. Cette loi appliquée à tous pour une action dans l’harmonie, garantit l’équité, la liberté et l’égalité. Les trois piliers de notre République. Cette loi c’est la loi dite, de 1905, sur la laïcité, dont nous célébrons cette année le centenaire. 

Il est à noter au passage, d’ailleurs, que Victor Hugo, déjà en 1850, s’exprimant devant l’assemblée disait : « Je veux un état laïque, purement laïque, exclusivement laïque… » ou encore : « je veux l’Etat chez lui et l’Eglise chez elle » L’activité sportive dans son ensemble et son indispensable éthique, ne peut, comme un certain nombre d’autres choses (dont évidemment l’école), se réaliser pleinement, que, et de manière exclusive, indiscutable, dans la laïcité. Le sport n’est pas, ne doit pas être une juxtaposition de groupes, de groupuscules de pression, ou de communautés différentes Il doit être, grâce au principe de laïcité, citoyen, donc,  transcommunautaire.

            Partant de là, un lieu de pratique sportive est un lieu public, relevant de la sphère publique où doivent être suspendus d’un commun accord, les particularismes et les conditions de faits. Pour qu’un sport « laïc » puisse perdurer, donc exister et ce, je le répète dans le respect de tous, il faudra veiller et intervenir éventuellement de manière adaptée mais déterminée, lorsque sera observée une confusion manifeste, consciente ou non, entre les sphères privées et  publiques. Il ne faut pas, selon moi, si l’on veut préserver son indépendance, son existence, que le sport devienne le reflet de la rue.  Evitons, pendant qu’il en est encore temps de tomber dans  le piège dans lequel certains pays européens se sont enfermés. Je pense en particulier aux Pays Bas.

Les dirigeants de cette nation avaient pensé construire une société nouvelle autour de piliers auxquels étaient rattachés les individus. Jusque là, a priori, pas de problème. Mais, ces rattachements se sont effectués en fonction d’une appartenance religieuse, spirituelle, politique, voire philosophique. Trois conséquences en ont découlé directement, à plus ou moins long terme. En  premier lieu, les hôpitaux, les écoles, les clubs sportifs, les journaux de communautés… ont fleuri (avec leurs épines..). Deuxième étape, conséquence de la première, le brassage intercommunautaire (que j’ai appelé tout à l’heure transcommunautaire), n’existe plus ou très peu. Troisième conséquence découlant des deux autres, ce terreau a favorisé et nourri des tensions sociales, raciales et confessionnelles. 

Enfin, quelle est la résultante de tout cela ? : 

On assiste à une montée et une exacerbation des tentatives extrémistes de tous ordres avec leur cohorte inéluctable de pratiques fascisantes

            En résumé, la citoyenneté n’est plus partagée. La question peut même se poser, à mon avis, quant à l’avenir de la démocratie et de la liberté individuelle. Alors qu’au départ, l’idée, le fait de comprendre, de favoriser, de tolérer que des individus pouvaient revendiquer  un rattachement particulier, paraissait peut être séduisante aux yeux de certaines personnes.

            Marcel Rufo, pédopsychiatre, exprime d’ailleurs une idée voisine, qui résume tout à fait cette situation, lorsqu’il nous dit « à force de chercher à trop comprendre, la tolérance a un effet pervers, celui de faire naître l’intolérance chez celui à qui on a offert trop de tolérance… ». Le devoir de chacun, est, doit être, sera de lutter, de résister, (rappelez vous l’exemple d’Albert Richter), de défendre contre vents et marées cette notion de laïcité, dans le domaine sportif, certes, parce qu’elle lui sied naturellement, mais également dans tout autre secteur bien évidemment.

            L’espace public doit être défendu, sinon on ne pourra plus garantir les libertés individuelles auxquelles tout citoyen a droit. Si l’individu peut vivre la vie privée qu’il souhaite, ce ne peut être que,

-dans le respect de l’égalité des droits établis,

-dans le respect des devoirs incombant à tous, sans distinction aucune,

-dans la liberté de chacun,

- soit, en définitive, dans le respect de la démocratie.

Toute entreprise, qu’elle soit politique, économique, philosophique, religieuse, ethnique, communautariste…qui tend, au nom d’une illusoire liberté de penser, à asservir, à imposer à l’autre une idéologie, un dogme, ne peut aboutir qu’à la négation de l’idée même d’individu et au façonnage artificiel d’un « non-être ».

Si tel était le cas, ceci nous amènerait aux antipodes, non seulement, des deux grands  principes ou concepts  d’équivalence et d’existence énoncés dans mon introduction, mais également, à l’opposé de la notion même de respect avec son corollaire de réciprocité, donc,  contraire à l’esprit sportif, à l’éthique sportive et à la laïcité. 

Je terminerai mon intervention en reprenant une citation de Latifa Ben Mansour, écrivain ;

            « La laïcité est le quatrième pilier de la République française… »  Je  me permettrais  de  rajouter à ces quelques mots de résonance oh combien citoyenne ! « …et doit, absolument, le rester ! »

            Car elle est un véritable capital social que nous nous devons de préserver, y compris et surtout au niveau des activités sportives, qui, nous l’avons vu, favorisent la rencontre avec l’autre, cet autre qui m’aide à tisser les liens nécessaires et indispensable, ces liens qui vont, petit à petit, me construire, m’aider à devenir moi-même, dans une véritable société de l’échange. Société du vivre ensemble dont le ciment s'appelle laïcité.

                                                 


Colloque pluridisciplinaire, Mercredi 9 et jeudi 10 novembre 2005, Iufm Grenoble
"Laïcité entre faits et principes"

(intervention intégrale)

 

         Je tiens tout d’abord à vous remercier, au nom des 7 Partenaires, de m’offrir une partie de votre tribune à propos d’un sujet, qui, si à première vue peut apparaître comme éloigné de nos préoccupations habituelles, n’en constitue pas moins l’un des fondements même de notre existence.

         En effet, nos parcours respectifs, que ce soit à la Maif, à la Mgen, à la Casden, à l’Autonome de solidarité (laïque), à la Mae, à l’Adosen ou à la Camif, ces parcours n’ont pu exister, perdurer, se développer…que grâce aux principes incontournables de laïcité, de solidarité, d’équité, de tolérance, d’humanisme…en un mot, de respect de la personne. 

         Nos origines, nos sources, nos racines sont celles de l’Ecole Publique Laïque dont nous sommes tous sans exception issus à des moments différents notre histoire mais également, de l’histoire de notre République.

         Nos activités dans le secteur de l’économie sociale et solidaire nous permettent de militer en faveur de pratiques qui vont favoriser la primauté de la dimension humaine sur des intérêts financiers. La supériorité, la prééminence  de « l’être » sur « l’avoir »

                           « Comme d’autres, nous sommes des entreprises, mais pas des entreprises comme les autres » 

         Nous apparaissons donc bien en tant que partenaires naturels, historiques, respectant et traduisant dans notre fonctionnement la liberté de conscience, l’égalité de tous, le respect des droits de chacun (mais également de ses devoirs), pour le bien de tous, la promotion du bien commun, à la fois dans la diversité, et dans l’unité (unité ne signifiant pas, soit dit en passant, uniformité, ni d’ailleurs unification)

         Promouvoir ce qui est commun à tous par delà les différences, quel autre principe que celui de laïcité serait mieux à même de répondre à ces préoccupations.

         Promouvoir ce qui peut unir tous les hommes et exclure par voie de conséquence tout privilège, tout facteur de dépendance ou de mise sous tutelle, quelle qu’elle soit, qu’elle soit politique, philosophique, religieuse ou économique.

         Autrement dit, la laïcité, nous la traduisons, nous la concrétisons, nous la conjuguons, nous l’avons conjuguée, et nous la conjuguerons encore, chacun à notre niveau, chaque jour dans des faits en appliquant une de ces nombreuses déclinaisons, autre grand principe, hélas aujourd’hui très galvaudé, celui de mutualité.

         Laïcité entre faits et principes…Nous nous efforçons au travers de la mutualité, de porter cette idée, ce pari du vivre ensemble que beaucoup de pays dans le monde nous envient, car nous ne sommes pas séparés par la culture, la religion ou la politique et que nous sommes garantis, par la loi de notre République, contre toute discrimination, d’où qu’elle vienne.

         « La laïcité est le quatrième pilier de notre République » nous dit Latifa Ben Mansour.

Affirmant cela, est il « républicain attaché à l’éminence de l’Etat, soucieux d’une égalité » ou « démocrate plus sensible à la société civile dans son indépassable diversité »… ? Ou tout simplement les deux parce qu’il pense que la riche diversité spirituelle des hommes  ne peut exister que dans une société de droit 

Je pense même ne pas trop m’avancer en disant que cela porte un nom…la démocratie. Autre grand principe fondamental, aujourd’hui hélas, lui aussi beaucoup galvaudé...  

Nous pourrions peut être d’ailleurs, à ce propos, nous demander pourquoi, pour quelles raisons cette notion, cette valeur  fondamentale  a évolué. Est-ce que le principe défini, quant à lui, il y a bien plus que cent ans, doit être lui aussi revu et corrigé parce que « la société française actuelle n’a guère de points communs » avec celle d’un passé très éloigné… 

Devrions nous redéfinir, un peu à la manière des sophistes, et lancer le débat, non sur ce qui est déterminé par la nature  et ce qui est créé par la société, mais plutôt, sur ce qui est déterminé par la loi et ce qui est créé par la  société…en fonction du cours hélas de plus en plus fluctuant des faits de société observés à la bourse des valeurs  d’aujourd’hui, pour redéfinir ou, comme de hauts responsables  le proposent, « toiletter » pourquoi pas, d’autres grands principes…

Je pense entre autres à la liberté, à l’égalité, aux valeurs d’équité, d’humanisme, de tolérance, de respect, de solidarité…qui sont, je le disais dans mon introduction les valeurs qu’en tant qu’acteurs de l’économie sociale et solidaire, nous concrétisons chaque jour sur le terrain. 

Mais je ne veux surtout  pas lancer un autre débat et vous remercie de ces quelques minutes d’attention portées à cette intervention qui, je l’espère, vous a permis de mieux situer notre partenariat d’hier, d’aujourd’hui, et surtout de demain, dans une mondialisation, une course au profits, une quête de repères, une dérive des individualismes, un véritable culte voué au divin quel qu’il soit, par démiurges interposés car,

 

                         L’homme, tout simplement, ne croit peut être plus assez en l’homme...et c'est  bien dommage  !

 

        

TOUTE REPRODUCTION, MEME PARTIELLE, INTERDITE SANS L'ACCORD ECRIT DE L'AUTEUR.

 


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